Logos, visuels, chartes graphiques, photographies, sites web, textes, contenu éditorial,… il n’est pas rare que l’employeur considère de facto la titularité des droits sur les créations conçues par ses salariés comme la contrepartie de la rémunération versée dans le cadre du contrat de travail.
Cette logique économique, pleine de bon sens, est loin de rentrer en résonance avec le régime juridique qui trouve à s’appliquer en matière de créations salariées.
En effet, lorsqu’un salarié créé une œuvre protégeable par les droits d’auteur, au sein de l’entreprise qui l’emploie, ce dernier reste en principe titulaire des droits d’auteur sur ses créations.
Aux termes de l’article L.111-1 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), la seule existence d’un contrat de travail conclu avec un auteur n’emporte pas cession des droits de l’auteur à son cocontractant.
Le contrat de travail n’entraîne donc pas automatiquement le transfert des droits incorporels du salarié au profit de l’employeur.
Il en va autrement lorsque l’œuvre créée par le salarié dans l’exercice de ses fonctions est un logiciel : dans ce cas, l’employeur se voit automatiquement attribuer les droits patrimoniaux (c’est-à-dire le monopole d’exploitation) sur le programme informatique. Cette exception légale est prévue à l’article L.113-9 du CPI.
C’est généralement à l’occasion d’une rupture du contrat de travail que le salarié va revendiquer ses droits d’auteur, et exiger de son employeur des contreparties financières qui n’ont que rarement été prévues à la signature du contrat.
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que la cession des droits sur une création doit être expresse et constatée par un écrit, lequel doit, de surcroît, comporter des mentions obligatoires précises, quelle que soit la création ou l’œuvre objet de la cession, le contrat de droit d’auteur étant d’interprétation restrictive (article L.131-3 du CPI).
Parmi ces mentions obligatoires, il convient de prévoir au contrat de cession notamment, et sans que ce soit limitatif, la durée, le territoire, le prix de l’œuvre (et donc une rémunération), les droits cédés (nommément désignés), etc….
En outre, il convient de ne pas perdre de vue que, si un employeur peut subordonner la conclusion du contrat de travail à la cession expresse par le salarié-créateur de ses droits d’auteur, la clause de cession ne doit pas s’analyser comme une cession portant sur des œuvres futures.
En effet, l’article L.131-1 du CPI prohibe « la cession globale des œuvres futures », c’est à dire la cession par l’auteur de ses droits sur plusieurs œuvres non encore réalisées.
En d’autres termes, si un créateur salarié est embauché pour créer plusieurs œuvres, c’est seulement au coup par coup que l’employeur devra tenter d’obtenir une cession des droits patrimoniaux.
La prohibition de principe de la cession globale d’œuvres futures connaît cependant une exception et deux atténuations :
Tout d’abord, aux termes de l’article L.132-18 du CPI, les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteurs (SACEM, SACD, ADAGP…) peuvent conclure avec les « entrepreneurs de spectacle » des « contrats généraux de représentation » les autorisant à représenter les œuvres de leurs répertoires actuel et future.
Par ailleurs, le pacte de préférence conclu entre l’auteur et l’éditeur concernant les droits sur plusieurs œuvres futures de l’auteur est licite.
Enfin, les règles de dévolution des œuvres collectives semblent échapper à ce principe de cession écrite et préalable des droits.
L’article L. 113-2, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, définit l’œuvre collective comme étant : « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».
En d’autres termes, les œuvres collectives sont des créations issues d’une élaboration d’ensemble au sein d’une entreprise.
Aux termes de l’article L.113-5 du CPI, la qualité d’auteur d’une œuvre collective est attribuée par présomption à la personne physique ou morale sous le nom de laquelle l’œuvre est divulguée.
Les derniers développements de la Jurisprudence sur la notion d’œuvre collective laissent même entrevoir une brèche qui permettrait aux employeurs, dès lors que les conditions sont réunies, de pouvoir recourir plus aisément à la notion d’œuvre collective, pour s’épargner les contraintes liées à la conclusion, par leurs salariés faisant œuvre créative, de contrats de cession de droits relatif aux œuvres créées (voir en ce sens les arrêts Cass. 1re civ., 19 déc. 2013 ; CA Paris Pôle 5. Chambre 2, du 14 sept. 2012).
Selon une jurisprudence bien établie, la qualité d’œuvre collective peut donc être conférée à des créations salariées, dès lors que certains indices tendant à caractériser l’existence d’une création dans le cadre d’un travail collectif associant de nombreuses personnes, sont réunis :
Tout d’abord, le travail du salarié-créateur doit s’inscrire dans un cadre contraignant qui l’oblige, par exemple :
- à se conformer aux instructions esthétiques de ses supérieurs hiérarchiques, validées dans le cadre d’un comité de création institué par l’entreprise, ou
- à puiser son inspiration dans le fond d’archives de l’entreprise qui l’emploie.
- à solliciter systématiquement l’accord de sa hiérarchie pour valider sa production,
Ensuite, le salarié-créateur doit retranscrire fidèlement les observations qui sont faites sur ses créations.
Enfin, les créations du salarié-créateur doivent toujours été divulguées sous le nom de l’employeur.
Cette solution prétorienne est toutefois loin de constituer une entorse aux principes énoncés à l’article 131-3 du Code de la propriété intellectuelle : la présomption de l’article L.113-5 du Code de la propriété intellectuelle peut parfaitement être combattue par la preuve contraire, lorsqu’elle est possible.
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Afin d’anticiper tout contentieux avec vos salariés, veillez à ce que les indicateurs énoncés par les tribunaux, tendant à caractériser l’existence d’une création dans le cadre d’un travail collectif associant une grande majorité des salariés de l’entreprise, ne puissent pas être contestés par vos employés.
A défaut, vous devrez tenter d’obtenir une cession des droits patrimoniaux de vos employés au coup par coup, en prélude d’une séance de créativité par exemple.